Premières lignes #04

Cela fait un moment que je vois passer ce RDV sans oser le reprendre, alors j’ose 😆 Initié par Ma lecturothèque, le principe est de citer, chaque semaine, les premières lignes d’un livre. L’occasion de découvrir ou de redécouvrir des romans 🙂

Ma mère a allumé la première cigarette de la journée, sa préférée, celle qui brûle les poumons au réveil. Puis elle est sortie de chez elle, pour admirer la blancheur qui recouvrait tout le quartier. Il était tombé dans la nuit au moins dix centimètres de neige.
Elle est restée longtemps à fumer dehors, malgré le froid, pour profiter de l’atmosphère irréelle qui flottait sur son jardin. Elle a trouvé que c’était beau, tout ce rien, cet effacement de la couleur et des lignes.
Soudain, elle a entendu un bruit étouffé par la neige. Le facteur venait de faire tomber le courrier par terre, au pied de la boîte aux lettres. Ma mère est allée le ramasser, en faisant bien attention de regarder où elle posait ses chaussons pour ne pas glisser.
Toujours sa clope au bec, dont la fumée se décuplait dans l’air glacé, elle s’est dépêchée de rentrer dans la maison, réchauffer ses doigts engourdis par le froid.
Elle a jeté un coup d’œil rapide aux différentes enveloppes. Il y avait les traditionnelles cartes de vœux, la plupart de ses étudiants de la fac, une facture de gaz, quelques publicités. Il y avait aussi des lettres pour mon père – les collègues du CNRS et ses thésards lui souhaitaient tous la bonne année.
Parmi le courrier, très ordinaire en ce début de mois de janvier, elle était là. La carte postale.

La Carte Postale – Anne Berest

C’était en janvier 2003. Dans notre boîte aux lettres, au milieu des traditionnelles cartes de voeux, se trouvait une carte postale étrange. Elle n’était pas signée, l’auteur avait voulu rester anonyme. L’Opéra Garnier d’un côté, et de l’autre, les prénoms des grands-parents de ma mère, de sa tante et son oncle, morts à Auschwitz en 1942. Vingt ans plus tard, j’ai décidé de savoir qui nous avait envoyé cette carte postale. J’ai mené l’enquête, avec l’aide de ma mère. En explorant toutes les hypothèses qui s’ouvraient à moi. Avec l’aide d’un détective privé, d’un criminologue, j’ai interrogé les habitants du village où ma famille a été arrêtée, j’ai remué ciel et terre. Et j’y suis arrivée. Cette enquête m’a menée cent ans en arrière. J’ai retracé le destin romanesque des Rabinovitch, leur fuite de Russie, leur voyage en Lettonie puis en Palestine. Et enfin, leur arrivée à Paris, avec la guerre et son désastre. J’ai essayé de comprendre comment ma grand-mère Myriam fut la seule qui échappa à la déportation. Et éclaircir les mystères qui entouraient ses deux mariages. J’ai dû m’imprégner de l’histoire de mes ancêtres, comme je l’avais fait avec ma sœur Claire pour mon livre précédent, Gabriële. Ce livre est à la fois une enquête, le roman de mes ancêtres, et une quête initiatique sur la signification du mot « Juif » dans une vie laïque.

Laisser un commentaire