Tenir sa langue – Polina Panassenko

« Ce que je veux moi, c’est porter le prénom que j’ai reçu à la naissance. Sans le cacher, sans le maquiller, sans le modifier. Sans en avoir peur. »
Elle est née Polina, en France elle devient Pauline. Quelques lettres et tout change.
À son arrivée, enfant, à Saint-Étienne, au lendemain de la chute de l’URSS, elle se dédouble : Polina à la maison, Pauline à l’école. Vingt ans plus tard, elle vit à Montreuil. Elle a rendez-vous au tribunal de Bobigny pour tenter de récupérer son prénom.
Ce premier roman est construit autour d’une vie entre deux langues et deux pays. D’un côté, la Russie de l’enfance, celle de la datcha, de l’appartement communautaire où les générations se mélangent, celle des grands-parents inoubliables et de Tiotia Nina. De l’autre, la France, celle de la materneltchik, des mots qu’il faut conquérir et des Minikeums.

Tenir sa langue est le premier roman de Polina Panassenko, un roman largement autobiographique qui traite de nombreux thèmes tels que l’exil, le deuil ou la perte de l’identité. Au premier abord, l’écriture est un peu brut de décoffrage tant la structure des phrases est perturbante, j’ai eu l’impression que l’autrice a écrit son livre comme elle aurait pu raconter son histoire de vive voix. Ce n’est pas désagréable à lire, il m’a juste fallu un petit temps d’adaptation.

Polina est née en URSS, et nous sommes en janvier 1990 et elle relate l’ouverture « historique » du premier Mc Donald’s à Moscou, ce décalage entre culture US et soviétique est bien menée et, je comprends vite que ce n’est pas parce que le mur est tombé que la culture capitaliste s’est brusquement déversée sur l’URSS. J’y découvre aussi la tentative de push en 1991, autant j’ai des souvenirs de la chute du mur autant je ne me souviens pas de cette partie de l’histoire soviétique. Tentative qui échouera et qui conduira à la dislocation du bloc soviétique. J’ai aimé ce début où Polina décrit la vie avec ses grands-parents, c’est drôle, cocasse et émouvant.

À Moscou, « sava » veut dire « hibou ». Je ne sais pas pourquoi ici il faut dire « hibou » pour se donner des nouvelles.

Deux ans plus tard, Polina quitte la Russie avec sa mère et sa sœur pour rejoindre son père en France, et plus précisément à Saint-Etienne. C’est le début d’une nouvelle vie loin de l’appartement communautaire, loin de ses grands-parents et loin de la Datcha. Le début d’une nouvelle vie où Polina se trouvera toujours entre deux cultures, en France et Russie, où comment aimer un nouveau pays sans trahir ses racines ? Les premiers pas en France sont loin d’avoir été tout rose pour Polina, balancée à la materneltichik sans ménagement, sa découverte de la raclette, son premier contact avec la langue française… La petite Polina est complètement perdue, elle amalgame rapidement la maternelle avec un orphelinat, l’adaptation a été compliquée. Sa mère faisant attention à ce qu’elle n’oublie pas le russe au profit du français et faisant attention que les mots russes et français ne s’amalgament pas pour créer de nouveaux mots.

Russe à l’intérieur, français à l’extérieur. C’est pas compliqué. Quand on sort on met son français. Quand on rentre à la maison, on l’enlève. On peut même commencer à se déshabiller dans l’ascenseur. Sauf s’il y a des voisins. S’il y a des voisins on attend.

Polina deviendra officiellement française à sa rentrée en 4ème , et elle est « ‘autorisée officiellement à s’appeler Pauline ». Son père a décidé de franciser son prénom pour une meilleure intégration mais était-ce réellement le meilleur choix ? Polina est prise entre deux cultures, entre deux langues… Il y a le dedans et le dehors… Le russe à la maison, le français dehors… Polina à la maison, Pauline dehors… Deux pays, deux identités, deux cultures, deux Polina/Pauline. L’autrice dédramatise son déracinement et sa perte d’identité avec humour, mais la douleur est bien réelle. Les démarches que Polina entame pour récupérer son prénom russe sur ses papiers d’identité français sont longs et si certains de ses interlocuteurs comprennent sa demande, ce n’est pas le cas de la justice qui, elle, ne comprend pas comment elle peut préféré son nom russe à sa version francisée… Et pour le coup, je suis comme Polina, je vois pas ce que ça change qu’elle s’appelle Polina sur sa carte d’identité 🤷‍♀️ J’ai un ami qui a été naturalisé cet année et c’est pas pour autant qu’il a francisé son prénom… Personnellement, je n’aurais pas aimé perdre mon prénom, je n’aurais pas aimé que des lettres soient transformées ou perdre mes accents…

Quand t’as tes règles t’as pas le droit d’entrer dans l’église. T’as pas le droit parce que t’es sale et l’église c’est propre alors t’attends.

A travers ce court roman, Polina Panassenko dédramatise sa perte d’identité et de sa culture avec un ton mordant, ironique et sarcastique. Des passages fortement émouvants quand l’autrice évoque sa vie en Russie et ses grands-parents. Et des passages complètement sortis de l’espace qui m’ont complètement perdus dans ma lecture, je pense au passage trop bizarre consacré à la perte de l’accent.

Note : 7.5 sur 10.

5 réflexions sur “Tenir sa langue – Polina Panassenko

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